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Créée en 2015, l’association “Les Cols verts” a pour objectif de mettre en place un réseau national capable de développer l’agriculture urbaine dans tous les lieux de vie des urbains : les quartiers, les entreprises, les écoles, chez les particuliers… En 2 ans, ce sont déjà 6 collectifs Cols verts qui ont été créé à Valenciennes, en Martinique, à Montpellier, Rennes, Albi et Mahdia en Tunisie.  Ces collectifs développent sur leur territoire de nombreuses activités d’agriculture urbaine. L’objectif est de permettre à l’agriculture urbaine de se développer sur de nombreux territoires en sensibilisant les urbains sur les enjeux environnementaux, l'alimentation et la santé, les reconnecter à la nature, favoriser le lien social et l’emploi, et accompagner la transition du système alimentaire.

Entretien avec Stéphanie Roggero  

J : Journaliste

SR : Stéphanie Roggero, Responsable des cols verts à Rennes 

 

J: Selon vous, il y a-t-il une controverse autour de l’agriculture urbaine ?

SR : L’agriculture urbaine est en train d’émerger, de plus en plus de gens ont envie de lancer des projets. Au premier abord, il ne me semble pas qu’il y ait de controverse. Et en fait, quand on commence à se confronter à la réalité, quand on est sur un projet bien précis, et que les gens réalisent que potentiellement de l’agriculture urbaine pourrait se faire devant chez eux, là il y a  des choses qui coincent. Le premier blocage peut venir des termes qu’on emploie quand on présente des projets. Sur le projet de ferme de quartier au Blosne, quand on commence à parler de ferme urbaine, les gens pensent tout de suite à des porcheries, à la basse-cour. Alors que la définition de la ferme c’est juste une exploitation, un lieu de production alimentaire et pas forcément animale. Les gens s’arrêtent à un terme et ce qui pose problème c’est que les gens ne vont pas chercher l’information, ils ne se basent que sur des « on-dit » et s’arrête à l’idée de la ferme urbaine qu’ils ont au premier abord. Beaucoup de gens ne font pas la démarche d’aller voir le porteur de projet, de comprendre le concept qui est proposé. Avec ce projet-là, je me rends compte qu’il y a encore beaucoup de gens à convaincre, à convertir. La plupart des gens ne saisissent pas les enjeux de l’agriculture urbaine et cela cause des échauffourées comme se fût le cas lors de la réunion du mois dernier.  

J : Etait-ce la première fois que vous aviez de telles confrontations avec le public d’un projet, à Rennes ou au sein de l’association nationale des Cols verts ?

SR : Non. Même dans le cadre du budget participatif à Rennes, il y a beaucoup de projet qui ont rencontré une certaine opposition de gens qui ne sont pas prêts à ce qu’on change leurs habitudes. Il arrive souvent que ce soit des personnes âgées. Ces individus vivent de la même façon depuis 30 ans et ne sont pas forcément prêts à changer. Souvent, ils viennent de la campagne et l’ont quitté pour être en milieu urbain, et refusent de voir la campagne arriver en ville. Les gens du quartier du Blosne avaient vraiment l’impression qu’on allait changer toutes leurs habitudes avec le projet. Le fait que ce soit des gens qui viennent de l’extérieur n’aide pas non plus. La ferme peut également avoir une image de « bobo » aujourd’hui. Il y a beaucoup d’a priori sur l’agriculture urbaine. Le fait de faire partie de réseaux (AFAUP[1] ou autres) biaise notre vision de l’agriculture urbaine. Nous avons l’impression que tout le monde en saisit l’importance et le fonctionnement mais ce n’est pas le cas. Quand on va dans les quartiers, on se rend compte de ce décalage : on se retrouve face à un énorme levé de boucliers de gens qui ne connaissent pas l’agriculture urbaine et qui n’en veulent pas. C’est la conséquence de l’entre soi au sein des associations.

J : Donc selon vous c’est la façon de voir l’agriculture urbaine qui va amener les gens à refuser les projets ou est-ce qu’il y des fondements scientifiques qui peuvent expliquer ce refus de l’agriculture urbaine ?

SR : Alors je n’ai pas encore eu la formation des Cols verts mais j’ai le retour d’expérience de mon stage de fin d’étude de l’année dernière (apiculture sur les toits des entreprises, éco pâturage et potagers dans les entreprises à Nantes). Il n’y a pas encore de recherches précises sur le sujet mais par exemple, il y a eu des plaintes d’agriculteurs à propos d’un système de location de poules à des particuliers. Selon les agriculteurs, ces transferts étaient responsables du développement de la grippe aviaire. Pour l’instant, ça ne se base sur rien de scientifique. Par contre, à Nantes par exemple, de l’agriculture se développe sur des sols pollués après un rajout de sol de meilleure qualité et au bout de plusieurs années cela fonctionne. Au niveau de l’amélioration de la qualité des sols, il n’y a pas de doutes possibles. Quand tout est bien mis en place (ruches, potagers, récupérateurs d’eau) on voit clairement une augmentation de la quantité (nombre d’espèces et abondance de ces espèces) de biodiversité par exemple. Cependant, le phénomène de retour de l’agriculture en ville et récent et il y a peu de données scientifiques disponibles. Le refus de retour de l’agriculture en ville vient plutôt de craintes selon moi mais une fois que les tentent l’expérience, cela fonctionne : au niveau de la biodiversité mais aussi au niveau de l’individu. Le fait d’être beaucoup dehors, d’être reconnecté à la nature. L’ensemble des retours d’expériences en agriculture urbaine montrent cela contribue à refaire vivre les quartiers, à recréer du lien entre les gens.  Ces projets sont destinés à tous les publics : les gens isolés, les familles… Une fois que les actions sont lancées, j’ai l’impression que toutes les craintes s’effacent car les gens se rendent compte que ça fonctionne.

J : Cependant, parfois, c’est justement ce côté participatif, social qui semble déplaire aux gens comme par exemple au Blosne ?

SR : Il y a toujours la crainte que les gens devront s’occuper eux-mêmes du projet. Je pense que c’est une problématique qui n’est pas propre à l’agriculture urbaine mais effectivement il peut être difficile de mobiliser les gens sur une action au long terme. Il y a toujours le risque que le projet soit abandonné car plus personne ne veut l’entretenir.

J: Pour revenir à la pollution des sols, est-ce qu’il y a des zones où vous n’avez pas le droit de mettre en place des projets d’agriculture justement parce qu’elles sont trop polluées ?

SR : Pour l’instant, on ne parle pas vraiment d’agriculture urbaine sur Rennes donc il n’y a pas forcément de protocoles qui sont mis en place. Actuellement à la ville de Rennes il y a une personne qui est référente des projets d’agriculture urbaine (en charge des jardins) mais ce n’est pas sa vraie mission. Il n’y a pas de restrictions sur certains terrains pour l’instant. Lorsqu’il y aura plus de projets, je pense que la question se posera. Mais sur certains terrains très pollués (La Courrouze, Plaine de Baud) il est certain que si un projet d’agriculture en pleine terre devait voir le jour, ce serait après des années de revalorisation du sol suivi par un laboratoire avec un protocole précis. Pour l’instant, l’agriculture urbaine c’est une de flou, il n’y a pas de cadre législatif. A la ville de Rennes, de plus en plus de projets voient le jour mais cela fonctionne par des appels à manifestation d’intérêt ou des appels à projet. C’est la ville qui alloue les terrains disponibles selon les projets mais il n’y a pas de réponse type, on ne peut pas se référer à un texte de loi précis. Après le passage du projet au filtre de la Fabrique citoyenne, j’ai un rendez-vous pour voir quels terrains la municipalité peut allouer au projet, en fonction de son Plan Local d’Urbanisme mais au fil de l’eau. La notion de temporalité du projet est également importante. Le but de la ferme est d’être là le plus longtemps possible puisque l’idée est que les gens se réapproprient leur autonomie alimentaire et cela est à considérer dans le choix du terrain.

J : Ce manque de cadre législatif peut-il aussi être un frein à la réalisation du projet ?

SR : C’est pour ça qu’il est nécessaire de travailler avec la municipalité. A Rennes la question ne se pose pas, il n’y pas de difficulté car la municipalité partage notre volonté de mettre en place des projets d’agriculture urbaine. Cependant, au sein d’une municipalité moins engagée, cela pourrait être plus compliqué. Le fait de ne pas avoir de législation peut mettre en péril certains projets. Les porteurs de projets dépendent ainsi de la municipalité et de la volonté de celle-ci à développer l’agriculture urbaine. Cependant, avec des évènements comme les 48h de l’agriculture urbaine, le phénomène se généralise : des vocations naissent auprès des gens. De ce fait, les instances législatives devraient mettre en place un encadrement.

J : Mais alors, l’agriculture urbaine constitue-t-elle un sujet trop jeune pour donner lieu à une réelle controverse ?

SR : Non, par exemple à Albi, il y a un immense projet (plusieurs hectares dans la ville) qui est assez conséquent pour provoquer une controverse s’il y a des opposants mais pour l’instant cela se passe bien. Mais encore une fois, la municipalité d’Albi soutient le projet car la ville souhaite accéder à l’autonomie alimentaire. Cela dépend aussi des individus qui habitent au sein du terrain du projet, certaines populations étant plus sensibilisées aux enjeux de l’agriculture urbaine et plus enclin à accepter les projets. S’il y a controverse sur ce sujet-là c’est aussi parce que qui dit agriculture urbaine, dit projet collectif. La majorité des projets d’agriculture urbaine sont des projets d’insertion, ou de regroupement de voisins. Le fait que ces projets impliquent d’aller à la rencontre de l’autre, de fonctionner ensemble peut causer une controverse dans une société de plus en plus individualiste. Cependant, le contact avec la nature reste apprécié par l’ensemble des individus et constitue un argument fort dans l’acceptation des projets. Le fait d’avoir les mains dans la terre génère en effet des endorphines qui sont bénéfiques à l’être humain.

J : Le collectif, les projets partagés fait donc partie des principes de l’agriculture urbaine ?

SR : Non, pas forcément. Cela peut aussi être un agriculteur seul qui décide de s’installer en milieu urbain. Mais par contre, l’agriculteur qui s’installe en ville a une forte probabilité de mettre en place de la vente en circuit-court donc cela favorise aussi le lien social au sein du quartier. Mais pour les agriculteurs urbains, beaucoup de problèmes peuvent se poser car ils sont « hors clou ». La question du bail se pose effectivement pour eux. Le bail qui est mis  à disposition en ville est un bail à courte durée (une dizaine d’années) et s’installer pour de l’agriculture demande une assurance d’autorisation longue. Par exemple, une agricultrice qui souhaitait s’installer à Rennes en urbain a fait le choix de s’installer autour de Chantepie en périurbain car le bail proposé par la ville de Rennes était trop court en zone urbaine.

J : Pour revenir au projet du Blosne, pensez-vous que la controverse être un frein à sa réalisation ?

SR : Non, puisque finalement les seuls individus qui refusaient le projet étaient ceux qui habitent autour de la zone où le projet devait se faire et le terrain a été modifié. Autrement, les associations du quartier soutiennent le projet et cela nous aide dans la réalisation. Les habitants des autres endroits du quartier sont également favorables au projet. Ce n’est finalement qu’une minorité de gens qui refusent le projet. Celui-ci est quand même passé à la Fabrique citoyenne (plus de 400 votes). Je pense que les gens sont lucides, ils savent que la campagne à la ville n’est pas quelque chose d’inhabituel. La dernière vache à être partie de la ville c’était dans les années 1970 (Paris intra-muros). L’histoire de l’humanité, jusqu’à il n’y a pas si longtemps, c’était de produire de la nourriture et aussi bien dans les villes que dans les campagnes. Et puis les projets d’agriculture urbaine sont souples et variés : si certains aspects ne conviennent pas à des individus (poulaillers par exemple), les projets peuvent revus.

J : Est-ce que les projets sont mieux acceptés lorsque vous passez par une autre structure (écoles, entreprises etc) que lorsque vous proposez un projet dont les citoyens devront s’occuper en autonomie ?

SR : Cela dépend des quartiers. Dans certains, il y a déjà beaucoup de projets réalisés dans les domaines de la culture ou du sport. Dans d’autres, il peut être complexe d’instaurer un projet qui fédère autour de l’agriculture urbaine. L’école est une porte d’entrée parfaite car nous nous insérons dans quelque chose qui fonctionne déjà bien. Dans les quartiers, c’est un problème humain la plupart du temps : les gens ne s’écoutent pas, ne cherchent pas à connaître le projet et le rejette. L’agriculture urbaine touche à des choses profondes, comme le lien entre les humains et c’est ça qui peut rendre le projet complexe. Comment se comporter entre humains ? Comment gouverner un projet ? Nous sommes tellement déconnectés de ces enjeux aujourd’hui que les projets collaboratifs d’agriculture urbaine peuvent perturber les habitants. Les gens ont peur de ne pas être écoutés, de se faire imposer le projet par une association nationale. Alors que le coordinateur du projet au Blosne est un habitant du quartier. C’est important d’avoir des habitants du quartier qui porte le projet avec l’association pour appuyer le projet. Le problème peut aussi venir du fait que les gens ont l’impression qu’on reproduit exactement l’agriculture rurale dans les milieux urbains, sans adaptation alors que ce n’est pas le cas. Les gens rejettent le projet car ils ont une certaine vision de l’agriculture et ne connaissent pas les différences avec l’agriculture urbaine.

J : Mais alors quelles sont les différences entre l’agriculture rurale et l’agriculture urbaine ?

SR : Tout d’abord une différence de taille, en urbain on est souvent sur des microfermes. Mais aujourd’hui même l’agriculture rurale est en transition et les gens ont du mal à comprendre la direction des projets d’agriculture, ne savent plus quoi en penser. Il y a un certain manque de communication autour de ces enjeux. La culture de spiruline ou d’autres cultures innovantes se développent plus facilement en milieu urbain. L’innovation est mise en place pour répondre à des contraintes, qui sont très fortes en ville : terres polluées, petites surfaces (verticalité etc). Mais l’agriculture urbaine est juste une façon de produire de la nourriture en ville donc on peut tout faire, il n’y a pas de limites.

J : Est-ce les agriculteurs ruraux sont inquiets de l’impact que pourrait avoir l’agriculture urbaine sur leur marché ? Avez-vous eu des retours négatifs ?

SR : Pas forcément. Je ne les ai pas tous rencontrés mais la plupart ne se sentent pas menacés. Même les maraîchers qui viennent sur le marché du Blosne le samedi matin n’ont pas de soucis à se faire car l’objectif premier de la ferme urbaine n’est pas la production, de venir prendre des parts de marché. L’idée est seulement que les gens reprennent la connaissance de la terre et de la façon de produire leur propre nourriture. C’est aussi l’occasion de produire d’autres produits, ce n’est pas déconnant d’avoir un producteur en plus. Dans le projet au Blosne, l’objectif est que les immigrés puissent participer et amener leur connaissance de la culture de certains produits de leur pays d’origine afin de les intégrer (avec des serres). L’association est aussi sur le versant pédagogique donc les objectifs ne sont pas les mêmes que les agriculteurs ruraux. Nous ne sommes pas en concurrence avec les agriculteurs. Et puis les gens veulent de plus en plus de produits locaux et pour cela il faut des agriculteurs en milieu urbain.

 

 

 

[1] Association Française d’Agriculture Urbaine Professionnelle

© 2018 by B.P,F.B,L.S,P.E - Master ERPUR (Rennes 1)

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